Pour le maintien de la prise en charge des jeunes majeurs en difficulté
Initiative citoyenne
Pour le maintien de la prise en charge des jeunes majeurs en difficulté
Nous travaillons en tant qu’éducateurs spécialisés pour le Domaine des Grands Ados, une structure privée de semi-autonomie dépendant de l’association ADSEA77 située en Seine et Marne. Concrètement, notre rôle consiste à accompagner dans leurs démarches (administratives, rendez-vous médicaux, insertion professionnelle, prévention) des jeunes de 16 à 21 ans hébergés à plein temps. Ces jeunes sont orientés dans notre service par l'Aide Sociale à l’Enfance (ASE), anciennement la DDASS, car leurs parents sont dans l’incapacité de les prendre en charge pour des raisons diverses : pauvreté, handicap lourd, violences intra familiales (verbales, physiques, abus sexuel). Nombre d’entre eux sont placés dès leur plus jeune âge, et ce jusqu’à leur majorité si besoin.
Toutefois, passé cet âge, ces jeunes se retrouvent souvent sans solution d’hébergement. Pourtant l’article L.222-5 du Code de l’action sociale et des familles stipule depuis plusieurs années que :
« Peuvent être pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, à titre temporaire et dans la limite de leurs vingt-et-un ans, les jeunes majeurs qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants. »
Et malgré ce cadre légal supposé les protéger, nous avons atteint ce stade effarant où un SDF sur quatre était un ancien enfant placé (INSEE, 2016). Est alors promulguée la loi du 7 février 2022, dite loi Taquet, dont l'un des objectifs consiste à rappeler cette interdiction de ce qu'on appelle les « sorties sèches », c’est-à-dire les fins de prise en charge de jeunes qui ne disposent pas d’hébergement. Cette loi réaffirme donc la possibilité d'accompagnement jusqu’à 21 ans, mais contrairement aux mineurs, cette prise en charge n’est plus une obligation.
Il s'agit d'un contrat (le Contrat Jeune Majeur) conclu entre le jeune et l'Aide Sociale à l’Enfance représentée par le Responsable Territoriale de la Protection de l’Enfance, en présence de ses éducateurs référents. Ces temps d’évaluation avaient du sens car ils permettaient un échange tripartite autour des objectifs et de la pertinence d’un maintien dans le dispositif, croisant le regard du jeune, de l’éducateur et de l’Aide Sociale à l’Enfance, dans une logique d’accompagnement individualisé plutôt que de simple gestion budgétaire. Par ce contrat Jeune Majeur, la prise en charge du jeune est conditionnée à son implication dans des objectifs en vue d’obtenir un emploi et un logement.
Mais cette loi Taquet n'est pas concrétisée par des décrets d’application, ce qui la laisse dans une zone d'ombre, propice à l’interprétation, ainsi on observe des différences conséquentes d’un département à l’autre. Et les finances des départements vont mal, leurs budgets ne cessant d'être réduits pour alléger la dette nationale. Estimant que les jeunes majeurs sont ceux qui ont le moins besoin de cette aide, le département a alors délégué en janvier 2025 la validation des contrats jeunes majeurs à des commissions extérieures. Les membres de cette commission n’appartiennent pas forcément au champ du social et n’ont pas connaissance des situations critiques et douloureuses que nous gérons sur le terrain.
Avant cela, le rapport d'évolution que nous éducateurs rédigions, ainsi que la demande écrite par les jeunes étaient les éléments à partir desquels le Responsable Territoriale de la Protection de l’Enfance actait cette décision d'accorder ou non un Contrat Jeune Majeur. Dorénavant, ces commissions ne se prononcent qu'en fonction des éléments et avis transmis par l'Aide Sociale à l’Enfance, qui elle-même ne peut intervenir au sein de ces instances où le sort du jeune est décidé en dix minutes. Plusieurs travailleurs sociaux de l'ASE avouant subir contre leur gré ce nouveau système nous ont fait part de l'élément prépondérant à la décision finale, un tableau relevant les dépenses et rentrées d'argent du jeune. La décision de les accompagner relève donc désormais d'une décision purement comptable, laquelle ne prend pas en compte le contexte réel du jeune concerné. Si besoin on leur octroie une allocation ou l’accès à un contingent de logements à court terme (qui coûtera moins cher qu'une prise en charge éducative), permettant de se décharger de ces jeunes qui ne sont pas prêts à être indépendants.
Car ce qu'on leur demande, au jour d’aujourd’hui - certains Responsables Territoriales de la Protection de l’Enfance l’ont reconnu officieusement - c'est d'être indépendant à 18 ans alors qu’en 2024, l'âge moyen de départ du foyer familial était de 23,6 ans selon une étude Eurostat. Et ce sans délai, joyeux anniversaire… Pour rappel, on parle de jeunes qui majoritairement n'ont pas été nourris par l’éducation et l'amour de leurs familles, et au contraire ont souvent subi la précarité, des violences (psychologiques, physiques, sexuelles), ont été transbahutés de foyers en foyers. Des jeunes qui font partie des plus fragiles face aux pathologies psychologiques, plus vulnérables aux addictions, aux automutilations, aux tendances suicidaires. Sans oublier que la période du COVID a contribué à une dégradation de cette santé mentale. Pour résumer, on exige de jeunes vulnérables qui ont fait les pires départs possibles dans la vie, d’être indépendants avant ceux qui ont évolué dans des cadres stables et bienveillants. Malgré toute la résilience qu'ils ont et malgré tout le courage des travailleurs sociaux, c'est tout bonnement impossible.
En l’espace de quelques semaines, les exemples d'échecs se sont multipliés au sein du service où j'exerce. Même les sorties positives ont un goût amer, car nous, éducateurs, sommes obligés de ramener à la dure réalité ceux parmi eux dont les ambitions poussent vers de longues études : la bourse ne suffisant pas toujours, il leur faut une rentrée d'argent conséquente pour leur garantir un logement. Certains d'entre eux sont renvoyés dans les familles de qui ils ont été protégé toute leur vie, d’autres se retrouvent à la rue, car les structures d’hébergement d'urgence se trouvent saturées. Dans un cas comme dans l’autre ces jeunes s’étaient pourtant mobilisés dans leurs projets comme ils s’y étayent engagés dans leur Contrat Jeune Majeur. Par souci d’économie, nous sommes en train de sacrifier une partie de la prochaine génération. Le seul véritable moteur de notre corps professionnel, le souci d'aider ceux qui sont dans le besoin n'est plus qu'une illusion dans ce contexte.
L’argument financier est celui que brandissent les partisans d’une fin de prise en charge des majeurs, et il est vrai qu’un accompagnement éducatif comprenant un hébergement coûte beaucoup d’argent. Toutefois, cet investissement est un pari sur l’avenir. Le collectif Cause majeur vient de publier une étude nommée « les vies de Paul » qui délivre un autre point de vue sur cette situation. Je cite la conclusion de sa synthèse : « Le résultat de cette étude est sans appel. Lorsqu'il est laissé seul peu après 18 ans, Paul vit des années d'errance, de chômage, de précarité avant de s'insérer difficilement. II coûte à la collectivité plus de 671 000 €, pour des recettes publiques d'environ 550 000 €. C'est malheureusement aujourd'hui le parcours de nombreux et nombreuses jeunes qui ont été accompagné-e-s par l'aide sociale à l'enfance; la durée moyenne d'accompagnement étant de 21 mois en 2025, soit 19 ans et 9 mois. À l'inverse, lorsqu'il est accompagné jusqu'à son inclusion pleine et entière dans la société - via un soutien éducatif adapté, un accès à la formation et un logement stable, le gain économique pour la société atteint plus de 450 000 euros. Enfin, lorsque les aspirations de Paul sont prises en compte dès l'enfance, les recettes générées atteignent presque 3 millions d'euros, un gain total d'environ 1,8 million. Autrement dit: chaque euro investi dans l'accompagnement est largement rentabilisé. »
Nous réclamons donc l'application de l’article L.222-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles et de cette loi du 7 février 2022 pour que ces jeunes en difficulté qui n'ont pas bénéficié des mêmes chances dans leur passé puissent prétendre à un meilleur avenir. Il n'est pas nécessaire de partager cette vocation d’aider autrui pour comprendre les conséquences de cet abandon des jeunes placés. En 2022, parmi les 381 000 enfants suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance, 208 000 étaient hébergés dans un foyer ou chez un assistant familial. L'abandon de ces 208 000 jeunes entraînerait immanquablement des conséquences néfastes qu’aucun de nous ne peut souhaiter. Donner les moyens à tous les jeunes de trouver leur place dans la société, quel que soit leur parcours, devrait être une priorité partagée, car un avenir serein ne peut se construire que sur des fondations équitables. Leur avenir ne doit pas être décidé par des personnes ignorant leur parcours et leurs difficultés. Il est nécessaire que la parole des jeunes, de ceux qui les suivent sur le terrain et que la réalité de l’insertion sociale soient pris en compte dans ces commissions. Tous les départements ne gérant pas ce sujet de la même façon, une concertation entre eux pourraient également permettre de dégager des solutions. Nous vous invitons donc vivement à signer cette pétition afin de rétablir l’égalité des chances pour ces jeunes issus de la Protection de l’Enfance.
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