Les plateformes ne font pas la loi – Moratoire immédiat et gel total du secteur VTC
Initiative citoyenne
Les plateformes ne font pas la loi – Moratoire immédiat et gel total du secteur VTC
Madame la Présidente de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les députés,
Depuis plus de dix ans, les chauffeurs VTC subissent les conséquences d’un modèle économique profondément déséquilibré, construit par les plateformes, validé par l’État, et désormais abandonné à lui-même.
Le conflit entre taxis et VTC n’est pas le fruit d’une rivalité entre professionnels. Il est la conséquence directe d’une politique publique incohérente, qui a laissé les plateformes contourner les règles du transport, refusé toute régulation de la profession, et volontairement opposé deux métiers pourtant complémentaires, au lieu de réguler leur coexistence dans un cadre équitable.
Les chauffeurs VTC ne sont responsables d’aucun de ces choix. Ils sont les premières victimes d’une dérégulation imposée d’en haut, sans concertation ni garde-fou.
Aujourd’hui, nous tirons la sonnette d’alarme. Des individus non titulaires de carte VTC exercent en toute impunité sur les plateformes, sans contrôle réel ni vérification sérieuse. Les agressions envers les clients se multiplient, l’image de la profession est salie, et ceux qui respectent la réglementation se retrouvent précarisés. Dans le même temps, les plateformes poursuivent leur recrutement massif à coup de formations à 20 €, souvent financées sur fonds publics. Le marché est saturé, les revenus se sont effondrés, et les chauffeurs travaillent parfois à perte.
Dans ce contexte, nous demandons l’instauration immédiate d’un moratoire sur l’accès à la profession. Ce moratoire doit porter sur l’ensemble des canaux d’entrée : examens VTC, équivalences, attestations REVTC, délivrance de cartes, inscriptions sur les plateformes. Il doit aussi être motivé par des raisons de sécurité publique : prolifération des faux profils, absence de contrôle des données, algorithmes opaques, et fonctionnalités comme Trip Radar qui exposent les chauffeurs à des risques accrus sur la route.
Ce gel d’urgence ne peut être dissocié d’un état des lieux indépendant et exhaustif. Il est urgent de faire la lumière sur les réalités du secteur : l’offre et la demande réelles, la structure des revenus, les pratiques tarifaires imposées, les conditions de sécurité, les dérives fiscales, les effets sociaux des algorithmes. Ce diagnostic doit être confié à un cabinet extérieur, sans lien avec les plateformes.
Nous ne pouvons plus faire semblant. Le silence institutionnel est devenu insoutenable.
L’Autorité de Régulation des Plateformes de l’Emploi (ARPE), censée garantir un équilibre entre travailleurs et plateformes, a failli à sa mission. Dans les faits, elle a validé, voire encouragé les pires reculs sociaux infligés aux travailleurs indépendants. Nous avons publiquement dénoncé son rôle dans L’Humanité, en révélant que son premier président était un ancien lobbyiste d’Uber. Nous avions alors refusé de participer à sa première élection, appelant à sa dissolution.
Malgré un taux de participation historiquement faible, des organisations favorables aux plateformes ont signé des accords désastreux pour les chauffeurs. À la seconde élection, notre organisation a pris ses responsabilités et obtenu la première place, devenant la première force représentative. Mais notre position demeure inchangée : cette autorité n’a aucun pouvoir réel. Elle est spectatrice du naufrage, quand elle ne devient pas l’instrument des plateformes, servant de vitrine pseudo-légitime dans les procédures judiciaires pour affaiblir les preuves de subordination.
Par ailleurs, les Uber Files ont mis en lumière les liens entre certains responsables politiques et Uber, au mépris des règles démocratiques. Dans le même temps, la Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises l’existence d’un lien de subordination entre chauffeurs et plateformes. Malgré cela, les requalifications peinent à aboutir. Les plateformes ont également été condamnées pour des violations graves du RGPD, notamment concernant l’usage non consenti des données personnelles.
Dans ce contexte, l’arrêt Elite Taxi c. Uber de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2017) doit enfin être appliqué en France. Il qualifie Uber d’opérateur de transport, ce qui permet aux États membres d’imposer aux plateformes les obligations applicables aux professionnels du secteur : autorisations, fiscalité, sécurité, encadrement tarifaire. Pourtant, ce jugement est ignoré. Les plateformes échappent toujours à toute responsabilité. Pire encore, elles incitent à la maraude électronique, organisent une concurrence déloyale et pratiquent la vente à perte, dans un cadre qu’elles manipulent à leur avantage.
Et pourtant, au lieu d’appliquer ces décisions de justice pour responsabiliser les plateformes, l’État choisit la facilité : il matraque les chauffeurs VTC. Des contrôles massifs sont déployés pour traquer la maraude électronique, verbaliser les indépendants, sanctionner les plus précaires. Mais que valent ces contrôles, si l’on s’acharne sur les exécutants pendant que les donneurs d’ordre restent intouchables ? Les arrêts de la Cour de cassation sont pourtant clairs : les plateformes exercent un pouvoir de direction, de sanction et de subordination sur les chauffeurs. Ce n’est pas au chauffeur de payer pour un modèle qu’il subit. C’est à la plateforme d’être tenue responsable, juridiquement, fiscalement et socialement.
Pendant ce temps, ce sont les députés de la Nation qui débattent de lois de rigueur, au nom de la soutenabilité des finances publiques. Mais que valent ces restrictions budgétaires si, dans le même temps, des milliards d’euros de cotisations sociales échappent aux caisses ? Ces plateformes, qui contrôlent des secteurs entiers de l’économie, exploitent un flou juridique pour ne rien assumer : ni salaires, ni charges, ni responsabilités. Et ce sont encore les travailleurs qui paient, dans tous les sens du terme.
Il est temps que l’État assume ses responsabilités. Il est temps que la loi soit la même pour tous.
Nous appelons l’Assemblée nationale à :
Déposer et voter une proposition de résolution appelant à un moratoire immédiat,
Lancer une proposition de loi encadrant l’accès à la profession, les tarifs et les commissions,
Créer une mission d’information ou une commission d’enquête sur le rôle des plateformes, de l’ARPE, et les responsabilités de l’exécutif,
Et convoquer les représentants légitimes des chauffeurs pour construire une régulation équitable.
Il est temps d’arrêter le matraquage des VTC.
Il est temps de s’attaquer aux véritables responsables de la dérégulation du marché.
Il est temps de redonner une voix à celles et ceux qui travaillent, dans le respect de la loi.
Veuillez agréer, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, l’expression de notre respect républicain.
Ben Ali Brahim
Secrétaire Général FO-INV
Première organisation nationale représentative VTC
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