Modifier le projet de loi sur les retraites
Initiative citoyenne
Modifier le projet de loi sur les retraites
Les retraites malades de la réforme
Aucun doute là-dessus : la réforme des retraites 2023 est très mal engagée.
Elle est très mal engagée pour des raisons
- Techniques
- Economiques et financières
- Sociales
- Politiques
TECHNIQUES
A l’actuel ministre de l’Économie, Monsieur Bruno Le Maire, lorsqu’il était ministre de l’Agriculture, un journaliste impertinent demanda sur un plateau de télé combien il y avait de mètres carrés dans un hectare. Le ministre a répondu qu’il n’était pas fort en maths et qu’il n’en savait rien. Pour un normalien, pour un ministre de plus aujourd’hui chargé de « compter les sous », c’est placer les maths bien bas, en tout cas sous la ligne de flottaison de la culture générale.
Je crains malheureusement que ce niveau technique bas ne se reflète également chez les énarques qui nous gouvernent encore, jusqu’au niveau le plus élevé. J’en ai dans ma vie rencontré un certain nombre, et, à part un talent « de présence » et un réel talent oratoire, je n’ai pas pu vérifier chez eux, d’une manière généralisée, de bien grandes vertus.
Sinon, aurait-on transformé l’âge de départ à la retraite en totem magique ?
Cela consiste à transformer le problème des retraites en problème de robinets, genre que l’on traitait autrefois à l’école primaire, mais que maintenant même nos ministres ne seraient pas capables de résoudre, semble-t-il.
Donc nous voilà devant quelque chose de magique, alors que Descartes, dès le 17ème siècle, nous avait appris à décomposer ce genre de situation en éléments simples et non divisibles.
Techniquement, l’âge de départ à la retraite n’est qu’un des nombreux éléments qui entre dans la recette de cette potion magique d’un Panoramix !
Citons-en d’autres qui ont une importance au moins aussi grande que l’âge de départ à la retraite, du plus facile au plus complexe à comprendre :
- Le nombre de trimestres de cotisations. Je ne ferai pas insulte au lecteur de croire qu’il ne comprend pas que plus on cotise longtemps, plus on accumule de droits.
- Le prix du point cotisé. Croire que le coût de ce « point » a évolué très gentiment au fil des ans est une vue de l’esprit. La seule évolution de la valeur du point depuis 1945 mériterait un audit, tant il y aurait à dire sur cette question. En tout cas, sans passer par des lois, la « fabrication » de l’évolution de la valeur du point, c’est sûr, a bien arrangé l’équilibre des caisses de retraite.
- L’espérance de vie. Une étude démographique générale de la population française, quand on applique sa mécanique, peut faire basculer dans le rouge ou dans le bleu les finances des caisses de retraite. Un simple changement d’hypothèses là-dessus, et tout change.
- Les tables de mortalité. Il ne s’agit plus d’un tableau d’ensemble de la population française, mais d’un découpage de l’âge de mortalité par catégorie et par sexe de la population des personnes en âge de prendre leur retraite. Travailler soigneusement les tables de mortalité serait une œuvre de justice sociale, en particulier vis-à-vis du monde paysan et du monde ouvrier, à la mortalité différente. Une étude complète sur ce thème est indispensable et toutes sortes de phénomènes intéressants sont à mettre au jour. Et des conclusions sont à en attendre.
- L’impact des périodes de chômage sur les retraites. Les carrières professionnelles linéaires sont de plus en plus rares. Il arrive qu’une personne change de régime de retraite (d’un régime spécial à un régime général, ou bien d’un régime privé à un régime « public » par exemple). Il arrive beaucoup plus souvent que périodes d’activité et périodes de chômage s’intercalent un certain nombre de fois. Enfin, pour les séniors, la proportion de chômeurs est importante, et dire qu’ils vont travailler plus longtemps est souvent dire qu’ils vont être chômeurs plus longtemps. Alors quelle est l’économie globale du système ? Il apparaît essentiel de conjuguer et de chiffrer ensemble, et non pas séparément, ces deux faces de la même pièce de monnaie. A-t-on aujourd’hui étudié cet équilibre d’ensemble ? Je pense que non, alors qu’on ne peut pas parler de réforme des retraites sans parler en même temps du chômage ! Du côté du chômage, cela vaut autant du côté des cotisations au chômage que des indemnités de chômage, et même des allocations diverses de type RSA. Quel est donc le bilan d’ensemble ?
- Le taux d’actualisation utilisé pour faire des retraites une masse cohérente. Voilà bien un problème technique « capital » pour pouvoir raisonner sur les retraites dans leur ensemble. Pour l’instant, on nous parle seulement des hypothèses de croissance du PIB et des hypothèses d’inflation, et cela afin de quantifier la masse des cotisations et la masse des retraites, avec une certaine hypothèse de chômage. La belle affaire ! Ce n’est pas tout ! En effet, il importe de ramener à aujourd’hui tous les mouvements des 80 prochaines années par exemple (on étudie des phénomènes très longs, de nature démographique). Alors, quel taux d’actualisation utilise-t-on pour ramener tous les éléments financiers (avec leur coefficient d’incertitude) à aujourd’hui ? Inutile de dire qu’un mouvement seulement d’une fraction de point sur ce taux, peu connu du grand public, et tous les équilibres se trouvent cul par-dessus tête ! La logique qui a été, nécessairement, utilisée ici devrait être rendue publique. N’oublions pas qu’il s’agit de décisions « d’aujourd’hui » pour l’avenir.
- Les régimes spéciaux. On en parle beaucoup moins dans la phase actuelle, par peur de la complexité, et aussi par peur du caractère explosif de situations si diverses. On laisse simplement de côté ce qui dépasse vraiment trop en complexité le modèle « tout d’une pièce » que l’on a voulu édifier. Et pourtant ce serait justice que de les étudier, au moins pour vérifier s’ils sont plus favorables, ou moins favorables, que le régime général.
ECONOMIQUES ET FINANCIERES
Tout gouvernement, collégialement avec les confédérations syndicales, hérite d’un paquet qui fait partie du fardeau national, et qui est aussi une part de sa fierté.
On nous dit que les retraites sont aujourd’hui excédentaires. Où donc sont ces excédents ? Qui les gère ? Qui en profite ? Qui les utilise ? N’oublions pas qu’il s’agit de masses énormes.
Tout ce qui a concerné, ou concerne encore, le système paritaire à la française est flou. Le parlement lui-même en a seulement une vision indirecte. Or il s’agit d’un budget énorme, égal, avec la Sécurité Sociale, aux budgets cumulés de l’Etat et de l’ensemble des collectivités, votés soit par le parlement, soit au sein des collectivités.
Les « sous » des caisses de retraite devraient être gérés de manière optimale. Est-ce que ça a été le cas dans le passé ? Est-ce le cas aujourd’hui ?
On nous parle de déficits ultérieurs. Mais que deviennent les excédents d’aujourd’hui ? Question en suspens.
SOCIALES ET POLITIQUES
Les retraites, c’est, avec la Sécurité Sociale, le fleuron des fédérations syndicales, et cela depuis 1945. Elles constituent un acquis social absolument majeur.
Or la manière de faire de l’exécutif semble être de vouloir constamment seulement faire semblant de négocier de manière paritaire, et, en fait, de violenter les syndicats sur ce qui est le plus cher pour eux.
Cette violence rejaillit, quelle que soit l’orientation politique de chacun, sur chaque salarié et chaque retraité, qui se sent à son tour violenté. Et au lieu d’un accroissement de flexibilité, qui serait, à long terme, la plus intelligente et la plus adaptable des réformes (mais qui mérite intelligence et réflexion), on se trouve une fois de plus confronté au jacobinisme le plus étroit et le plus stupide, du genre « je ne veux voir qu’une tête », comme dans l’ancienne infanterie.
La question « Est-ce que la réforme passera ? » est une mauvaise question. Il ne devrait pas en être ainsi, tout simplement. Tout cela est la trace, en amont, d’une fausse réflexion, tronquée et poursuivie avec entêtement, et en aval d’un désastre, même s’il reste muet, au niveau de la cohésion nationale.
Bertrand Vanhoutte
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