Lycée Blanquer ou lycée de l'anéantissement pédagogique : sonnons la fin de la récréation !
Initiative citoyenne
Lycée Blanquer ou lycée de l'anéantissement pédagogique : sonnons la fin de la récréation !
En 2017, Jean-Michel Blanquer, alors Ministre de l’Éducation nationale, confiait à Pierre Mathiot, Professeur des Universités en science politique, le soin de penser un lycée des « possibles » capable d’ultra-spécialiser les élèves dans des disciplines de leur choix afin de créer un continuum bac-3/bac+3. Cette réforme, mise en œuvre à partir de la rentrée 2019 et unanimement rejetée par la communauté éducative et les organisations syndicales enseignantes et lycéennes, n’est en réalité qu’une machine à détruire qui ne dit pas son nom dans l’optique, une fois de plus, de renflouer les caisses de l’État au détriment de la qualité du service public de l’éducation. 5 ans plus tard, le constat est clair et sans appel : aucun lycée des « possibles » mais un lycée de l’anéantissement pédagogique, aucun continuum bac-3/bac+3 mais un fossé qui n’a jamais été aussi imposant entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.
1- Le système de spécialités du lycée Blanquer : un piège inadmissible tendu aux élèves
À l’issue de la classe de 2nde générale et technologique, les élèves se destinant à une classe de 1ère générale doivent composer une triplette de spécialités parmi un panel d’enseignements de spécialité proposé dans leur lycée. Or, le Ministère pourrait-il nous expliquer comment faire des SVT sans physique-chimie, ou comment faire de la physique-chimie ou des SES sans mathématiques ? Pour ce qui est de la spécialité SVT, comment comprendre le processus de remontée adiabatique du matériel péridotitique asthénosphérique en contexte de dorsales sans outils physiques, comment comprendre les transformations métamorphiques ou la catalyse enzymatique sans outils chimiques, comment aborder sereinement la géochronologie absolue sans outils mathématiques ? Les résultats parlent d’eux-mêmes : les élèves réussissant le mieux en spécialité SVT sont celles et ceux qui suivent les spécialités physique-chimie et mathématiques alors que celles et ceux suivant, en parallèle, des spécialités littéraires et/ou de sciences humaines accumulent les difficultés et sont, in fine, pénalisés. Le lycée Blanquer ment aux élèves et à leur famille : les disciplines enseignées au lycée ne sont pas des entités cloisonnées, elles sont complémentaires entre elles, d’où l’importance des très regrettées séries ES, L et S de la filière générale qui posaient un cadre académique, pédagogique et notionnel totalement adapté et cohérent !
2- L’orientation post-bac à l’issue du lycée Blanquer : une loterie malsaine
Les triplettes de spécialités n’étaient pas assez problématiques pour s’abstenir sur la pédagogie par l’abandon ! Les élèves de 1ère générale, qui s’investissent grandement et, non sans une certaine appréhension pour élaborer leur triplette de spécialités, sont invités à abandonner l’une d’entre elles, un an plus tard, pour n’en suivre plus que 2 en Terminale. Seuls 2 enseignements de spécialité sensés préparer les élèves à l’enseignement supérieur... vraiment ? Auparavant, les élèves devaient se positionner sur un des trois grands domaines suivants : celui de l’économie, des lettres ou des sciences. La maquette pédagogique était claire, de même que les débouchés post-bac propres à chacune des séries, et en cohérence avec les filières d’enseignement supérieur. Aujourd’hui, les élèves n’ont aucune vision des poursuites d’études possibles et sont perdus dans le choix de la spécialité à « abandonner » car, pour des formations post-bac identiques, les exigences en termes de doublettes de spécialités en Terminale divergent ! Quelle spécialité abandonner pour des études de médecine ou une classe préparatoire BCPST quand on connait l’importance des mathématiques, de la physique, de la chimie et de la biologie dans ces formations ? Autre exemple : quelle spécialité abandonner pour une classe préparatoire B/L, classe préparatoire où les mathématiques, les SES, l’histoire et la géographie sont majoritaires ? Les élèves et leurs parents ne s’y retrouvent plus, le personnel enseignant se contredit, des formations identiques ont des exigences qui diffèrent : l’orientation se fait à l’aveugle. Quelles sont les formations post-bac pouvant être abordées sereinement avec seulement 2 enseignements de spécialité (en espérant que la doublette de spécialités formée soit cohérente) ? Aucune. Les élèves de Terminale, le baccalauréat en poche et pensant être prêts pour envisager leurs études (en BTS, BUT, licence, CPGE, écoles post-bac, etc) sont confrontés, de fait, à des lacunes, faute d’un nombre suffisant d’enseignements en Terminale. Les enseignants des filières d’enseignement supérieur sont contraints de mettre en place des cours de remédiation et/ou de revoir leur maquette pédagogique.
3- Le baccalauréat préparé au sein du lycée Blanquer : un examen en voie de disparition
Le contrôle continu, comptant pour 40% de la note finale, est un coup fatal porté au lycée et au baccalauréat qui y est préparé. Afin de lisser les pratiques pédagogiques des enseignants face à l’évaluation, des plans locaux d’évaluation (PLE) sont élaborés par les établissements. Les PLE encadrent le nombre de notes ainsi que leurs poids coefficientés pour les disciplines intégrées au contrôle continu et les protocoles de rattrapage des évaluations pour les élèves absents. En plus de porter atteinte à la liberté pédagogique des enseignants, les PLE rendent le travail des personnels d’enseignement et de direction chronophage, dégradent les relations professeurs-élèves voire professeurs-parents et stressent les élèves. PLE, in fine, inutiles puisque ce dispositif interne à chaque lycée ne régit pas le contenu académique et notionnel des évaluations proposées par les enseignants d’une même matière pour une même thématique : les élèves d’un même établissement ne sont donc plus sur un même pied d’égalité face au baccalauréat, ni avec aucun autre élève, toutes académies confondues. Les épreuves terminales (c’est-à-dire faisant l’objet d’une épreuve en fin d’année de 1ère ou de Terminale) sont elles-mêmes génératrices d’inégalités scandaleuses. Du fait de la centaine de combinaisons de doublettes de spécialités possible, chacune des spécialités est évaluée 2 fois par 2 sujets différents, sur 2 jours (sans parler du casse-tête pour la conception et la correction de 2 sujets par spécialité pour les personnels d’inspection et d’enseignement). Ce qui était autrefois un examen structuré en épreuves terminales anonymes, nationales, uniques et sans équivoque est aujourd’hui un examen à géométrie variable, dénué de sens et inégalitaire !
4- Le lycée Blanquer : une machine fabricatrice d’inégalités socio-scolaires
Lucides sur le piège tendu par le système de spécialités, les élèves issus de milieux favorisés constituent des triplettes de spécialités qui imitent les anciennes séries ES, L et S de la filière générale (et qui représentent, d’ailleurs, le top 3 des triplettes de spécialités choisies, interrogeant donc sur le sens même de ce système de spécialités) à l’origine de parcours académiques cohérents, donc d’évaluations et d’épreuves réussies et de dossiers Parcoursup solides. Or, les élèves issus de milieux plus défavorisés, moins bien aiguillés, ont tendance à construire leur triplette de spécialités en fonction de leurs appétences, sans réfléchir en termes de cohérence disciplinaire et d’orientation, à l’origine de moins bons résultats et de dossiers Parcoursup bien plus bancals. De plus, une fois dans l’enseignement supérieur, les étudiants issus de milieux favorisés ont davantage accès aux cours de soutien pour combler les lacunes provoquées par le lycée Blanquer lorsque les autres n’y ont pas accès et réussissent moins bien à cause de l’architecture du système éducatif lui-même !
5- Le lycée Blanquer : un fiasco organisationnel qui isole physiquement les élèves
Le système de spécialités intrinsèque au lycée Blanquer a définitivement enterré le groupe classe à cause du nombre délirant de combinaisons de triplettes et de doublettes de spécialités possibles : pour un lycée offrant 10 enseignements de spécialité différents, ce sont plusieurs centaines de triplettes qui sont envisageables (en 1ère) et jusqu’à 90 doublettes (en Terminale) !!! Ainsi, les cours de spécialités sont contraints d’être alignés en barrettes à l’origine d’emplois du temps complexes et inefficaces et le groupe classe est éclaté, chaque groupe de spécialité correspondant à un patchwork d’élèves issus de toutes les classes de 1ère et de Terminale de l’établissement. La suppression du groupe classe isole physiquement les élèves (qui, de fait, peuvent être dans 6 groupes d’enseignements différents chaque semaine en prenant en compte les cours d’enseignements communs, de langues et de spécialités) et ne permet plus aux enseignants de réaliser leur suivi scolaire (les enseignants de spécialités ne connaissent pas les autres spécialités suivies par leurs élèves, ni l’identité de leurs collègues de spécialités avec qui ils ont des élèves en commun). Pour un seul groupe classe (ce qu’il en reste), ce sont plusieurs dizaines d’enseignants qui peuvent être fléchés au vu du nombre très important de combinaisons possibles de spécialités et de groupes d’enseignements. La fonction de professeur principal, si importante, est aujourd’hui caduque et les enseignants de spécialités ne se rendent plus aux conseils de classe : les élèves sont livrés à eux-mêmes dans un lycée digne d’un rouleau compresseur !
Le Gouvernement est conscient de la catastrophe provoquée par le lycée Blanquer, en attestent les nombreux retours en arrière effectués par lui. Il doit prendre ses responsabilités en revoyant sa copie, notamment par un retour des séries en filière générale (et donc du groupe classe) et des épreuves anticipées et terminales anonymes, nationales et sans équivoque ainsi que la fin du contrôle continu. Cette mascarade n’a que trop duré !
Adrien ARBEIT, Professeur agrégé de SVT.
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